Venant tout juste de boucler les relectures d'un roman à paraître l'année prochaine, je me suis dit qu'il s'agissait du moment idéal pour aborder cette facette incontournable de l'écriture...
De mon point de vue, il existe trois types de relectures/réécritures. Attention : je ne dis pas qu'après trois relectures vous en aurez fini ! J'aime bien employer la métaphore du sculpteur pour qualifier ma manière d'écrire en général : on part d'un gros bloc de matière première (le premier jet) que l'on va dégrossir maint et maint fois jusqu'à parvenir au résultat souhaité (ou tout du moins à ce qui s'en rapproche le plus). Ainsi, chacun de ces types de réécritures donnera lieu à plusieurs relectures, de deux ou trois à une cinquantaine si vous appartenez à la catégorie des perfectionnistes acharnés.
Petit détail pratique : pour mes corrections, j'imprime et j'utilise un stylo rouge. Non seulement j'ai toujours rêvé depuis tout petit d'annoter des feuilles à l'aide d'un stylo rouge (impression de toute puissance professorale un peu gâchée certes par le fait que je m'auto-corrige) mais surtout le rouge se voit, a contrario du noir ou du bleu. Et dans la troisième partie, j'embraye souvent sur les corrections directement sur le fichier via le système des commentaires, bien plus pratique lorsqu'il s'agit d'échanger rapidement avec un tiers.
Bref, allons-y dans l'ordre :
1. Les relectures personnelles :
Par "relecture personnelle", j'entends celles qui sont faites par l'auteur lui-même, avant qu'intervienne tout intrusion extérieure.
Durant ma première réécriture, je me concentre sur l'histoire. Malgré tous les synopsis possibles et imaginables, il m'arrive régulièrement durant la phase d'écriture d'ajouter quelque chose d'imprévu - thème, détail, personnage etc. En conséquence, il est souvent nécessaire d'ajouter au début des détails permettant d'amener ces modifications de manière logique. Cette relecture permet aussi de rectifier le tir si des informations ont été égarées en cours de route, sont données plusieurs fois etc.
Généralement, je ne m'intéresse alors pas au style et me contente de corriger les phrases vraiment trop bancales.
Une fois que l'histoire s'équilibre, la relecture suivante est consacrée au style. J'y traque tout ce qui relève du moche : répétitions, verbe être (la langue française possède toujours quelque chose de plus joli et de plus précis que "Il était"), phrases trop longues ou trop courtes, dialogues bancals, manque d'émotion dans une scène, manque d'ambiance dans une autre etc.
A noter que certains auteurs - comme Gustave Flaubert dans son célèbre gueuloir - pratiquent la relecture à voix haute pour tout ce qui concerne le style, c'est-à-dire le rythme et la sonorité des phrases. Je l'ai fait et ne le fais plus. Je me suis rendu compte que j'entendais très bien les phrases dans ma tête et qu'un problème de rythme ou de musicalité me sautait aux yeux sans avoir à passer par les oreilles. Mais cette technique demeure utile et il m'arrive encore d'y recourir pour une phrase ou un passage qui me résistent.
Si, durant cette dernière phase, j'effectue relativement peu de corrections, alors je m'en tiens là. Au contraire, si je remanie énormément de choses, je m'octroierai une deuxième relecture, voire une troisième, jusqu'à atteindre une version dans laquelle je n'aurai repris que quelques détails anecdotiques.
2. Les bêta-lecteurs :
Une fois atteint ce stade, je fais appel à ce que l'on nomme communément le bêta-lecteur.
Qu'est-ce qu'un bêta-lecteur ?
Le bêta-lecteur est une personne extérieure, faisant souvent partie de votre entourage, qui va se coltiner le dur travail de lire une version non finalisée de votre texte. Concernant le nombre de ces premiers lecteurs, il ne faut à mon avis pas se limiter à un avis (une personne peut aimer quelque chose qu'une majorité pourra trouver mauvaise et vice-versa) tout en évitant de les multiplier à outrance. Si vous faites lire votre tapuscrit à 25 personnes, bon courage pour croiser leurs corrections par la suite. Je travaille personnellement avec deux bêta-lecteurs réguliers qui ont lu presque tous mes textes depuis le début, auxquels j'adjoins généralement une voire deux autres personnes en fonction du moment.
Le choix des bêta-lecteurs est très important. En effet, si vous écrivez un roman de Fantasy à la Conan et que vous le faites lire à un fan de Conan, il y a peu de chance pour que son avis soit réellement intéressant puisqu'il sera à priori conquis à votre sujet. Dans mes deux bêta-lecteurs de base, j'ai un ami qui se pique légèrement de SF et de Fantasy et un autre qui n'en lit pratiquement jamais. Et dans mes "bêta-lecteurs" intermittents, j'ai tendance à privilégier ce dernier type. En effet, si votre roman de SF séduit une personne qui n'en lit jamais, il y a de fortes chances pour que votre texte soit bon. Par contre, seul un lecteur ayant une certaine connaissance du genre sera à même de vous dire si votre/vos idée(s) de base sont réellement originales et si vous les utilisez jusqu'au bout.
Enfin, si je choisis ces lecteurs parmi des amis proches, il s'agit de gens sans état d'âmes qui prendront - et je les encourage en ce sens - un malin plaisir à pourrir mon travail dans leurs commentaires. A mon sens, l'impartialité et un sens critique faisant fi de l'amitié font partie des qualités les plus importantes du bêta-lecteurs. Il faut qu'ils soient sans pitié voire même sadiques. De toutes façons, si vous ne supportez pas la critique, mieux vaut arrêter d'écrire tout de suite sinon vous risquez de vous suicider lorsque votre bouquin passera au pilori des critiques littéraires...
Quant à ma manière de travailler avec eux, je leur fais parvenir à chacun une version du manuscrit que je les encourage à annoter. Lorsqu'ils ont fini leur lecture, j'aime bien les rassembler autour d'une bière pour que nous parlions tous ensemble du texte. Cette séance est très utile car elle permet de confronter des avis parfois divergents, voire même de trouver ensemble les modifications les plus judicieuses. Ensuite, je reprends mon manuscrit tout en ayant sous les yeux chacun des tapuscrit annotés par ces bêta-lecteurs (cela nécessite un bureau avec de la place) et je me lance dans une nouvelle correction.
Comme cette nouvelle relecture amène souvent des modifications dans l'histoire, j'enchaîne souvent avec une ultime correction stylistique. Après cela, le texte est prêt à être envoyé à l'éditeur, mais son histoire n'est pas finie, loin de là...
3. Retravail avec l'éditeur :
Jour de grâce : vous recevez une lettre, un coup de fil ou un mail vous annonçant que tel éditeur à qui vous avez envoyé votre travail l'accepte et désire le publier. Généralement, c'est l'un des moments les plus savoureux de l'aventure littéraire (plus savoureux à mon sens que lorsque vous tenez l'objet imprimé dans vos mains). Du coup, c'est le moment de payer un coup à vos proches (sans oublier vos bêta-lecteurs) avant de vous y remettre parce que le boulot est loin d'être terminer.
Pas mal de gens pensent à tord que l'éditeur est une personne qui accepte un manuscrit, le fait imprimer et se charge de le vendre. Dans les faits, il est bien plus que ça. Il s'agit de quelqu'un qui possède une grande connaissance de l'écriture (souvent il s'agit même d'un écrivain ou ancien écrivain) doublée d'une bonne vision de ce qui fonctionne et ne fonctionne pas, de ce qui plaît ou ne plaît pas etc. Et l'une des plus importantes facettes de son boulot est de vous faire retravailler votre bouquin. J'avais pu lire les chiffres il y a quelques années et, de mémoire, seuls 2% des manuscrits reçus par les éditeurs sont publiés tels quels. J'ai aussi eu écho de l'anecdote d'un écrivain refusant de retoucher son manuscrit... dont l'éditeur avait en conséquence refuser de publier le roman. Pour résumer, on pourrait dire que ce que voit l'éditeur dans votre manuscrit n'est pas un roman de plus à envoyer chez les diffuseurs mais plutôt le potentiel d'un roman de plus...
Souvent, l'éditeur va tenter de faire ressortir au maximum ce que vous avez essayé de coller dans votre roman, ce qui passe la plupart du temps par de grosses réécritures : ajout de passages entiers voire de chapitres, approfondissement d'un personnage etc. Après, ce n'est pas forcé, lorsque j'ai retravaillé "L'Emprise des rêves"avec Philippe Ward, celui-ci s'est contenté de corrections de style assez mineures.
La grosse différence avec l'éditeur, c'est qu'il pourra s'opposer à vous d'une manière bien plus forte que vos bêta-lecteurs. Lorsque ceux-ci vous font part de leurs remarques, vous demeurez le boss et avez encore le droit de les envoyer chier si vous jugez leurs propositions injustifiées. Avec l'éditeur c'est beaucoup plus délicat. Vous serez souvent amenés à argumenter vos choix pour les défendre.
Une fois que l'éditeur aura validé votre texte, celui-ci partira chez les correcteurs. Ensuite on vous proposera peut-être une ultime relecture des épreuves. Si on ne vous le demande pas, je vous conseille d'insister. Ca ne coûte rien et, si la plupart des correcteurs professionnels laissent peu de fautes ou de coquilles derrière eux, il peut arriver qu'ils s'embrouillent les pinceaux dans vos noms propres. Un ami m'avait conseiller une technique intéressante à ce sujet : lire le roman à l'envers. Basiquement, vous commencez par la fin en lisant page par page. Cela évite de se retrouver emporter dans le récit et vous permets une meilleure acuité pour tout ce qui relève de la chasse aux coquilles ou de relecture orthographique.
4. Quand relire ?
90% du temps, j'attends d'avoir achevé un roman pour en entamer les relectures mais, parfois, il m'arrive de relire la première moitié avant de poursuivre. Ce fut le cas notamment lorsque j'avais abandonné mon roman pour partir au Gabon et ensuite rédiger "Sur la piste de Tarzan" : j'ai préféré effectuer ma première relecture afin de me remettre dans le bain du texte.
Mais d'autres auteurs abordent la relecture de manière différente. J'ai un ami qui fait lire chacun de ses chapitres par des bêta-lecteurs au fur et à mesure de leur rédaction, et qui se sert de leurs commentaires pour poursuivre. Je crois avoir entendu quelque part que Jean-Marc Ligny agissait de cette même manière avec sa femme.
D'autres encore relisent eux-mêmes à la fin de chacun des chapitres. Robert E. Howard avait l'habitude, surtout lorsqu'il écrivait des novelas ou des romans, d'arrêter l'écriture en plein milieu du texte, d'achever celui-ci sous la forme d'un synopsis, puis de corriger le début avant de poursuivre (ou d'abandonner le texte aussi, cela lui arrivait souvent).
Arrêter au milieu du roman et relire le début peut également être un bon moyen pour vaincre un blocage ou recentrer une histoire que l'on sent nous échapper ou, comme moi, lorsqu'on en a arrêté la rédaction durant un trop long laps de temps.
Conclusion :
Pas grand chose à ajouter pour conclure si ce n'est qu'il me paraît évidemment suicidaire d'envoyer un manuscrit non relu une fois qu'on y a apposer le mot fin.
A part cela, comme je l'ai expliqué, je pense qu'il est important que ces relectures soient organisées, c'est-à-dire que chacune d'entre elles possède un objectif précis. Si vous relisez simultanément pour l'histoire, le style, l'atmosphère, l'orthographe et les coquilles, vous risquez d'enchaîner une trentaine de relectures sans jamais parvenir complètement à votre objectif. C'est d'ailleurs ce qui m'est souvent arrivé lors de mes tous premiers écrits.
Pour finir, une phrase tirée du "Hyperion"de Dan Simmons, dans le récit du poète (et qui à mon sens vaut autant pour d'autres types d'écriture) : "On n'achève pas un poème, on l'abandonne."
Sur ce, bonne écriture et bonnes relectures !