9 juin 2009
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Pour ce second volet, j'ai décidé de rentrer dans le vif du sujet en m'attaquant à la création des personnages. Coton me direz-vous ? Et vous avez bien raison. C'est simple, je crois n'avoir jamais véritablement apprécié une histoire dont je ne jugeais pas les personnages attachant ou, plus simplement, intéressant. A mon sens, il s'agit de l'un des points les plus importants du roman, et il me semble extrêmement périlleux de débuter la rédaction d'un texte sans avoir en tête une idée précise de ses acteurs. C'est également cela qui me pousse à aborder ce sujet parmi les premiers.
Rappel : Comme d'habitude, je vais vous parler de ma manière de voir les choses. Ça n'est pas la seule, et certainement pas la meilleure. A vous de juger...
Pour les personnages, je me constitue tout bêtement des fiches. Pas des feuilles de JdR, on s'entend bien, savoir que tel personnage est capable d'utiliser une épée large avec un facteur d'attaque de +42 n'est absolument pas primordiale. Je commence donc par une série de renseignements factuels comme l'âge, la taille (de manière précise, ça ne coûte rien et elle influe énormément sur la manière qu'ont les personnages de s'appréhender entre eux : le ressenti n'est pas le même lorsque quelqu'un parle à une personne de quelques centimètres de plus/de moins, ou de trente centimètres de plus/de moins), l'origine (nationalité, ville, royaume...), couleur de cheveux, d'yeux et de peau (quand on se lance dans un roman, c'est très pratique pour ne pas faire d'erreurs bêtes, surtout quand il s'agit de personnages secondaires).
Après cela, je renseigne quatre points de manière plus ample : l'apparence (gros, sec, athlétique, mains calleuses, nez cassé, cicatrices, strabisme, vêtements etc...), l'histoire (le background en somme, quel a été son parcours avant le temps du texte), les buts (que recherche ce personnage en général et que recherche-t-il précisément dans l'action du texte ?) et enfin sa psychologie (quels sont ses problèmes, ses peurs, ses tics, son attitude à l'égard des gens et des choses etc.).
Maintenant, passons aux choses sérieuses : si vous avez répondu à toutes ces informations, considérez que vous n'avez à peu près rien fait. Toute la subtilité de la construction du personnage provient de la logique qui va relier toutes ces informations entre elles. Votre personnage a la peau matte ? Super ! Est-ce quelqu'un qui passe son temps à se faire dorer la pilule au soleil, travaille-t-il constamment en extérieur, fait-il des UVs ou est-ce génétique ? Cet exemple s'applique à toutes les informations qui constituent le personnage. Il faut s'attacher à pouvoir répondre à la question du pourquoi, et que ce pourquoi demeure logique. Votre personnage possède un physique athlétique ? Très bien mais d'où lui vient-il ? Est-ce un travailleur manuel, un sportif ou un adepte du banc de muscu ? La réponse à cette question vous renseignera quant au type de musculature de votre personnage et également sur une partie de sa psychologie. S'il pratique intensément la musculation, quel est le but de la manoeuvre ? Pourquoi fait-il ça ? Parce qu'il a peur ? Pour plaire aux filles ? Parce qu'il vient de passer la quarantaine et regrette le corps de ses 20 ans ?
Je viens de prendre des exemples physiques à chaque fois mais tout cela s'adapte de la même manière à la psychologie et aux valeurs de votre personnage. S'il vote communiste, il vous faut pouvoir expliquer le cheminement qui le mène à cet acte. Vote-t-il comme ses parents ? S'agit-il d'un utopiste convaincu ? Y a-t-il eu un événement ou une suite d'événements dans sa vie qui l'ont poussé à ce positionnement politique précis ? Agit-il ainsi pour adhérer à une cause ou pour s'élever contre une autre ? Etc.
Je ne vais pas répéter mille et un exemples. Retenez juste ceci : une accumulation de détails aussi complexe et riche soit-elle ne suffira jamais à camper un personnage. En 2006, lors du festival des Utopiales, j'ai eu l'occasion de réaliser une interview de Kirsten J. Bishop ("Aquaforte"). Dans son roman, elle mettait en scène toute une galerie de personnages fort crédibles et, lorsque je lui ai demandé d'où lui venaient ces entités, voici ce qu'elle m'a répondu :
"Ils me semblent venir du néant. Mais, au-delà de ça, quand je regarde l'image qui m'apparaît d'eux, je suis capable de voir d'où ils viennent, ce qu'ils sont, de retracer la généalogie des inspirations qui les ont fait naître. Je vois une figure dans mon esprit et alors je me dis : qui es-tu ? D'où viens-tu ? Par exemple, je ne me dis pas : j'ai besoin d'un pistolero, ok, construisons un pistolero. Pour moi, ça ne fonctionne pas comme ça. Je vois une personne, dans un décor - c'est très important - et après je m'en sers en fonction des besoins de mon histoire."
Pour ceux que cela intéresserait, le reste de l'entretien est au sommaire du Faeries n°24.
Ce que je trouve remarquablement intéressant dans les propos de Kirsten, c'est cette idée de non-création justement. Elle voit un personnage puis, ensuite, cherche à comprendre qui il est et pourquoi. On a véritablement l'impression que son travail est moins celui d'un écrivain que celui d'un chercheur qui tente de comprendre cette image, ses motivations et sa façon de penser. A mon avis, nous sommes ici pas loin de la clef.
Lorsqu'on réussie à disposer de ce genre de personnages avec une logique propre et même, par certains aspects, une sorte d'indépendance, et bien c'est le top. Toutes leurs actions deviennent crédibles et, finalement, on a presque plus qu'à les suivre. Quand j'écris aujourd'hui, il m'arrive de plus en plus régulièrement de voir une scène se modifier par rapport à mon canevas, à cause des personnages qu'elle comprend. Par exemple : j'ai dans mon synopsis une scène dans laquelle deux personnages doivent discuter, échanger telles ou telles informations et aborder tels ou tels sujets (je reviendrai dans un autre article sur cette histoire de synopsis, of course). Équipé de mon fidèle stylo (cf. Stylo versus ordinateur) je me jette dans la scène. Je trouve une amorce au dialogue, l'échange commence et se dirige petit à petit vers les informations que j'avais prévu de caser à ce moment là puis, soudain, je me rends compte que ces deux personnages ne peuvent aborder ces sujets sans s'engueuler méchamment. Excellent : je les laisse faire et toute la suite de l'histoire s'en trouve modifiée. Je vais devoir rebosser la construction mais, au moins, ces deux là vivent.
Il s'agit d'un sentiment de délitement, quand l'histoire semble nous échapper, vivre d'elle-même, qui est tout à fait jouissif.
Pour résumer tout ça, il me paraît fondamental que les personnages ne soient pas des parodies destinées à coller à l'histoire, mais qu'ils possèdent une personnalité propre, arrêtée et étayée, crédible et logique. Vous devez être capable d'expliquer la raison ou la cause de chacun des multiples détails qui les constituent. Il n'est pas forcément nécessaire que tout ça soit explicité dans votre histoire, au contraire. Si votre personnage est bien fait, cela se sentira au détour de chaque scène et il se mettra à vivre entre les pages...
Bon, lorsque je me relis, je me rends compte que je survole pas mal. Si vous voulez en discuter, n'hésitez pas à recourir aux commentaires !
Note : Pour illustrer cet article, j'ai utilisé quelques croquis de personnages non finalisés - en pleine création justement - issus des carnets de mon père.
Rappel : Comme d'habitude, je vais vous parler de ma manière de voir les choses. Ça n'est pas la seule, et certainement pas la meilleure. A vous de juger...
Pour les personnages, je me constitue tout bêtement des fiches. Pas des feuilles de JdR, on s'entend bien, savoir que tel personnage est capable d'utiliser une épée large avec un facteur d'attaque de +42 n'est absolument pas primordiale. Je commence donc par une série de renseignements factuels comme l'âge, la taille (de manière précise, ça ne coûte rien et elle influe énormément sur la manière qu'ont les personnages de s'appréhender entre eux : le ressenti n'est pas le même lorsque quelqu'un parle à une personne de quelques centimètres de plus/de moins, ou de trente centimètres de plus/de moins), l'origine (nationalité, ville, royaume...), couleur de cheveux, d'yeux et de peau (quand on se lance dans un roman, c'est très pratique pour ne pas faire d'erreurs bêtes, surtout quand il s'agit de personnages secondaires).
Après cela, je renseigne quatre points de manière plus ample : l'apparence (gros, sec, athlétique, mains calleuses, nez cassé, cicatrices, strabisme, vêtements etc...), l'histoire (le background en somme, quel a été son parcours avant le temps du texte), les buts (que recherche ce personnage en général et que recherche-t-il précisément dans l'action du texte ?) et enfin sa psychologie (quels sont ses problèmes, ses peurs, ses tics, son attitude à l'égard des gens et des choses etc.).
Maintenant, passons aux choses sérieuses : si vous avez répondu à toutes ces informations, considérez que vous n'avez à peu près rien fait. Toute la subtilité de la construction du personnage provient de la logique qui va relier toutes ces informations entre elles. Votre personnage a la peau matte ? Super ! Est-ce quelqu'un qui passe son temps à se faire dorer la pilule au soleil, travaille-t-il constamment en extérieur, fait-il des UVs ou est-ce génétique ? Cet exemple s'applique à toutes les informations qui constituent le personnage. Il faut s'attacher à pouvoir répondre à la question du pourquoi, et que ce pourquoi demeure logique. Votre personnage possède un physique athlétique ? Très bien mais d'où lui vient-il ? Est-ce un travailleur manuel, un sportif ou un adepte du banc de muscu ? La réponse à cette question vous renseignera quant au type de musculature de votre personnage et également sur une partie de sa psychologie. S'il pratique intensément la musculation, quel est le but de la manoeuvre ? Pourquoi fait-il ça ? Parce qu'il a peur ? Pour plaire aux filles ? Parce qu'il vient de passer la quarantaine et regrette le corps de ses 20 ans ?
Je viens de prendre des exemples physiques à chaque fois mais tout cela s'adapte de la même manière à la psychologie et aux valeurs de votre personnage. S'il vote communiste, il vous faut pouvoir expliquer le cheminement qui le mène à cet acte. Vote-t-il comme ses parents ? S'agit-il d'un utopiste convaincu ? Y a-t-il eu un événement ou une suite d'événements dans sa vie qui l'ont poussé à ce positionnement politique précis ? Agit-il ainsi pour adhérer à une cause ou pour s'élever contre une autre ? Etc.
Je ne vais pas répéter mille et un exemples. Retenez juste ceci : une accumulation de détails aussi complexe et riche soit-elle ne suffira jamais à camper un personnage. En 2006, lors du festival des Utopiales, j'ai eu l'occasion de réaliser une interview de Kirsten J. Bishop ("Aquaforte"). Dans son roman, elle mettait en scène toute une galerie de personnages fort crédibles et, lorsque je lui ai demandé d'où lui venaient ces entités, voici ce qu'elle m'a répondu :
"Ils me semblent venir du néant. Mais, au-delà de ça, quand je regarde l'image qui m'apparaît d'eux, je suis capable de voir d'où ils viennent, ce qu'ils sont, de retracer la généalogie des inspirations qui les ont fait naître. Je vois une figure dans mon esprit et alors je me dis : qui es-tu ? D'où viens-tu ? Par exemple, je ne me dis pas : j'ai besoin d'un pistolero, ok, construisons un pistolero. Pour moi, ça ne fonctionne pas comme ça. Je vois une personne, dans un décor - c'est très important - et après je m'en sers en fonction des besoins de mon histoire."
Pour ceux que cela intéresserait, le reste de l'entretien est au sommaire du Faeries n°24.
Ce que je trouve remarquablement intéressant dans les propos de Kirsten, c'est cette idée de non-création justement. Elle voit un personnage puis, ensuite, cherche à comprendre qui il est et pourquoi. On a véritablement l'impression que son travail est moins celui d'un écrivain que celui d'un chercheur qui tente de comprendre cette image, ses motivations et sa façon de penser. A mon avis, nous sommes ici pas loin de la clef.
Lorsqu'on réussie à disposer de ce genre de personnages avec une logique propre et même, par certains aspects, une sorte d'indépendance, et bien c'est le top. Toutes leurs actions deviennent crédibles et, finalement, on a presque plus qu'à les suivre. Quand j'écris aujourd'hui, il m'arrive de plus en plus régulièrement de voir une scène se modifier par rapport à mon canevas, à cause des personnages qu'elle comprend. Par exemple : j'ai dans mon synopsis une scène dans laquelle deux personnages doivent discuter, échanger telles ou telles informations et aborder tels ou tels sujets (je reviendrai dans un autre article sur cette histoire de synopsis, of course). Équipé de mon fidèle stylo (cf. Stylo versus ordinateur) je me jette dans la scène. Je trouve une amorce au dialogue, l'échange commence et se dirige petit à petit vers les informations que j'avais prévu de caser à ce moment là puis, soudain, je me rends compte que ces deux personnages ne peuvent aborder ces sujets sans s'engueuler méchamment. Excellent : je les laisse faire et toute la suite de l'histoire s'en trouve modifiée. Je vais devoir rebosser la construction mais, au moins, ces deux là vivent.
Il s'agit d'un sentiment de délitement, quand l'histoire semble nous échapper, vivre d'elle-même, qui est tout à fait jouissif.
Pour résumer tout ça, il me paraît fondamental que les personnages ne soient pas des parodies destinées à coller à l'histoire, mais qu'ils possèdent une personnalité propre, arrêtée et étayée, crédible et logique. Vous devez être capable d'expliquer la raison ou la cause de chacun des multiples détails qui les constituent. Il n'est pas forcément nécessaire que tout ça soit explicité dans votre histoire, au contraire. Si votre personnage est bien fait, cela se sentira au détour de chaque scène et il se mettra à vivre entre les pages...
Bon, lorsque je me relis, je me rends compte que je survole pas mal. Si vous voulez en discuter, n'hésitez pas à recourir aux commentaires !
Note : Pour illustrer cet article, j'ai utilisé quelques croquis de personnages non finalisés - en pleine création justement - issus des carnets de mon père.